
[INTERVIEW] Chauffeur routier : un métier en pleine mutation
Collaborateurs sur la route > Transporteurs
En 20 ans, le métier de chauffeur routier a connu de nombreux bouleversements. Jérôme Plâ, Directeur général de Vingeanne Transport, analyse ces évolutions et leurs causes. Quels sont les enjeux du métier, ses atouts et ses perspectives ? Entretien.
Par Fabien - Publié le 06/08/2019, mis à jour le 18/09/2019
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Mobility : Dans notre imaginaire, chauffeur routier rime avec voyages. C’est encore vrai ?
Jérôme Plâ : Non. Les chauffeurs routiers français ne sont plus des globe-trotters. Avant, ils partaient souvent toute la semaine, voire davantage, pour sillonner les routes d’Europe ou du « grand international ». A leur compteur, beaucoup de temps de conduite et peu de clients. Mais leur champ géographique s’est restreint : la majorité des chauffeurs routiers français reste désormais à 300 ou 400 km de sa base.
Mobility : Les chauffeurs routiers travaillent donc sur un perimètre géographique plus restreint ?
JP : Dans les années 90, sont arrivés les transporteurs espagnols, suivis des portugais et des italiens. Puis les entreprises de l’Est, notamment polonaises, sont passées à l’offensive. Après avoir raflé le plus gros du marché, ces dernières sont à présent concurrencées par les transporteurs hongrois. Or, entre un chauffeur hongrois et un français, l’écart de coût est de 1 à 3. En l’absence d’harmonisation sociale en Europe, on ne peut pas lutter. Notre entreprise s’est donc recentrée sur le régional et le grand régional, à l’instar de la plupart des acteurs français de taille équivalente. Et nous avons misé sur la qualité de service et la valeur ajoutée. C’est ce que nos clients apprécient et attendent en échange de tarifs un peu plus élevés.
Mobility : Comment les chauffeurs routiers apportent-ils une meilleure qualité de service aujourd’hui ?
JP : Leur travail ne consiste plus seulement à conduire un poids-lourd pour livrer d’un point A à un point B, mais à délivrer une prestation de distribution de qualité. Souvent responsables de charger et décharger les marchandises, dotés d’outils leur permettant de limiter leurs efforts, les chauffeurs routiers prennent en charge la logistique du dernier kilomètre, de plus en plus importante. Avec l’explosion des achats sur internet, on livre aussi désormais aux particuliers. A la fin de la chaîne de valeur, la qualité du contact avec le client est primordiale. Ils sont nos ambassadeurs, les premiers commerciaux de notre entreprise.
« Leur travail ne consiste plus seulement à conduire un poids-lourd pour livrer d’un point A à un point B, mais à délivrer une prestation de distribution de qualité »
Mobility : Quels profils les entreprises recherchent-elles ?
JP : Les formations sont plus complexes et plus complètes qu’avant. Et de fait, le niveau d’exigence des employeurs est aujourd’hui plus élevé. Ils recherchent des profils dotés d’un bon relationnel et suffisamment formés pour faire un travail de qualité. Mais aussi des individus que la technologie ne rebute pas. Aujourd’hui, tous nos chauffeurs ont l’informatique embarquée, un GPS, un smartphone, des appli. On échange en temps réel et toutes les données sont disponibles immédiatement. Le phénomène va aller croissant. Plus d’une entreprise sur deux embauche, pour répondre aux besoins générés par l’essor des achats sur internet et les départs en retraite, sachant que la majorité des chauffeurs a plus de 50 ans. Malheureusement, notre secteur fait face à une pénurie de main d’oeuvre.
Mobility : Quelles sont selon vous les raisons de la pénurie de main d’oeuvre chez les chauffeurs routiers ?
JP : J’en distingue trois. Les départs en retraite n’ont pas été suffisamment anticipés. De plus, on n’a pas formé intelligemment. Il fut un temps où Pôle Emploi distribuait ces formations comme des petits pains. Or, la réalité du métier ne convenant pas nécessairement à tout le monde, le taux d’échec était élevé. Depuis, l’approche a changé, notamment par le biais de partenariats entreprises-écoles-organismes. Cette démarche, nous l’avons initiée il y a longtemps, avec succès. Avant de valider une entrée en formation, nous demandons au candidat de faire un stage de deux semaines chez nous. Ainsi, on ne se trompe pas, d’un côté comme de l’autre et le processus d’intégration démarre plus en amont. Ça multiplie les chances de réussite. Enfin, ce métier n’est pas suffisamment valorisé et nous avons collectivement du chemin à faire pour redorer le blason du chauffeur routier.
Mobility : Pourquoi l’image du métier de chauffeur routier doit-elle être revalorisée ?
JP : Autrefois, les règlementations étaient différentes. Aujourd’hui, elles sont particulièrement encadrées, notamment sur le temps de conduite, les radars et les contrôles. En parallèle, le confort et la sécurité des véhicules a énormément évolué. Boîte automatique, frigo intérieur, climatisation de nuit, assistance à la conduite, avertisseurs de dépassement de ligne et d’endormissement, ou encore les sièges ergonomiques à suspension pneumatique, sont devenus des standards. Bilan : moins de fatigue et plus de sécurité. Les véhicules modernes sont à la pointe de la technologie.
Mobility : Les nouvelles technologies attirent-elles plus de profils jeunes vers le métier ?
JP : Oui, du moins ceux qui n’aspirent pas à voyager. Mais ce métier offre d’autres avantages. Par exemple, chez Vingeanne, nous demandons à nos chauffeurs d’être force de proposition, de prendre des initiatives. On leur donne de l’autonomie. Par ailleurs, sur un marché en forte croissance, les entreprises vont être amenées à augmenter les forfaits, pour les porter à 200, 210 ou 220 heures / mois. A la clé, des revenus plus élevés, même si le taux horaire n’augmente pas. Enfin, les évolutions relatives au développement des énergies propres sont de nature à attirer les jeunes sensibles à cette problématique. Le transport est tourné vers l’avenir !
Mobility : En parlant d’avenir, à quels changements peut-on s’attendre ?
« Pour rester dans la course, il faudra s’adapter, continuer à innover, réinventer notre métier. »
JP : Depuis peu, la lettre de voiture CMR dématérialisée est officiellement reconnue. D’ici dix ans, la version papier aura complètement disparu : tous les chauffeurs disposeront du document en format numérique pré-rempli. Un processus allégé qui simplifiera leur travail. Mais le secteur pourrait à moyen terme connaître des bouleversements plus structurels. D’une part avec le développement des plateformes numériques. Pourquoi ne pas imaginer que nos chauffeurs travaillent sur ces plateformes ? « On t’envoie à Marseille, tu t’occupes du retour ». Une manière intelligente d’améliorer la rentabilité tout en offrant aux conducteurs encore plus d’autonomie, de responsabilités et une meilleure rémunération. D’autre part, l’évolution de la technologie et notamment l’avènement du véhicule autonome ou partiellement autonome, est fortement susceptible de changer la donne. Pour rester dans la course, il faudra s’adapter, continuer à innover, réinventer notre métier.
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